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HENRI BERGSON, LA SIGNIFICATION DE LA GUERRE — THE MEANING OF THE WAR (Edition bilingue)
Ce petit volume contient le discours prononcé par M. Bergson en tant que président de l'Académie des Sciences morales et Politiques à son assemblée publique annuelle le 12 Décembre 1914. Il s'agit de l'allocution qui a précédé l'annonce des prix et distinctions décernés par l'Académie. Il est maintenant publié sous forme de livre, avec le consentement de l'auteur et son accord pour lui donner la plus large diffusion. Bien qu'il soit bref, c'est un message adressé directement au cœur de notre peuple au moment de la crise provoquée par la guerre. A cela s'ajoute un court article, sur le même thème, publié dans le Bulletin des Armées de la République le 4 novembre 1914.
Il a été dit que la guerre, avec tout ses maux terribles, est au moins l'occasion de prouver que l'humanité est une valeur inestimable: l'humanité inspire, semble-t-il, plutôt la philosophie que la grande poésie. On peut penser que dans ce message c'est la poésie que Bergson exalte. Celle-ci est, cependant, née de la profondeur de sa philosophie. La pleine signification des doctrines qu'il enseigne et leur portée aussi bien morale que politique sont mises en lumière de façon limpide à l'occasion du conflit actuel. Pourtant, il n'y a pas un seul mot qui respire la haine d'une personne ou d'une race. C'est par le triomphe d'un principe spirituel que la philosophie peut espérer libérer l'humanité de l'oppression d'une doctrine matérialiste.
Le principe opposé existe toujours et est défendu par des philosophes qui n'appartiennent à aucune nation ou race particulière. L'un de ses représentants les plus brillants et les plus influents s'appelait Joseph Arthur de Gobineau (1816-1882). Un mot sur cet homme remarquable peut aider le lecteur à comprendre pourquoi Bergson l'a mentionné pendant son discours. L'essai de Gobineau sur l'Inégalité des races humaines (1855) était le premier d'une série d'écrits affirmant, pour des motifs ethnologiques, la supériorité de la race aryenne, son droit et son devoir, en raison de cette supériorité, de dominer toutes les autres races. Il était l'ami de Wagner ainsi que de Nietzsche. Mme Förster-Nietzsche dans la biographie de son frère a évoqué le fait qu'il tenait Gobineau en haute estime et que grâce à lui Nietzsche a pu développer sa doctrine de la non-morale du surhomme.
Si le discours de M. Bergson n'était rien de plus que la prise de parole d'un philosophe agité par un profond sentiment patriotique le conduisant à défendre la cause de son pays et à dénoncer ses ennemis, son appel, en dépit de son éloquence, n'aurait pas d'autre importance que celle d'inspirer courage au coeur de ses compatriotes. Il ne serait pas différent d'appels tout aussi sérieux que d'autres philosophes ont adressé au monde au nom de leurs compatriotes. Mais, il a un sens beaucoup plus profond. Ce n'est pas un acte d'accusation des dirigeants allemands ou de son peuple. Il va au cœur du problème de l'avenir de l'humanité. Le progrès matériel magnifique qui a marqué la révolution scientifique du siècle dernier doit-il devenir l'arme fatale qui détruira la liberté ayant permis à la vie de triompher de la matière?
Ces mots sont écrits au moment où le conflit fait rage et où son issue semble encore lointaine. La mort frappe des jeunes de toutes les nations et parmi eux beaucoup sur lesquels nos plus grands espoirs étaient fondés. “Mais quel que soit le prix de la victoire », m'a écrit Bergson, “il n'aura pas été trop chèrement payé si l'humanité est enfin délivrée des cauchemars qui pèsent sur elle.”
H. WILDON CARR
This little volume contains the discourse delivered by M. Bergson as President of the Académie des Sciences Morales et Politiques at its annual public meeting on December 12, 1914. It is the address which preceded the announcement of the prizes and awards bestowed by the Academy. It is now issued in book form with the consent of the author, and his full appreciation of the object, to give it the widest circulation. Although it is brief, it is a message addressed directly to the heart of our people in the crisis of war. To it is added a short article on the same theme, contributed to the Bulletin des Armées de la République, November 4, 1914.
It has been said that war, with all its terrible evils, is the occasion of at least one good which humanity values as above price: it inspires great poetry. On the other hand, it seems to crush philosophy. Many may think that in this message it is poetry to which M. Bergson is giving expression. It is, however, from the depth of his philosophy that the inspiration is drawn. The full significance of the doctrines he has been teaching, and their whole moral and political bearing, are brought into clear light, focussed, as it were, on the actual present struggle. Yet is there no word that breathes hatred to any person or to any race. It is by the triumph of a spiritual principle that philosophy may hope to free humanity from the oppression of a materialist doctrine.
The opposing principle has had, and still has, philosophers to defend it, and they belong to no particular nation or race. One of its most brilliant and influential exponents was a Frenchman, the diplomatist, Comte Joseph Arthur de Gobineau (1816-1882). A brief word on this remarkable man may help the reader to understand the mention of his name on page 30. His Essai sur l'inégalité des races humaines (1855) was the first of a series of writings to affirm, on ethnological grounds, the superiority of the Aryan race, and its right and destiny by reason of that superiority to rule all other races as bondsmen. He was the friend of Wagner, and also of Nietzsche. Madame Förster-Nietzsche in her biography of her brother has spoken of the almost reverent regard which he entertained for Gobineau, and it may be that from him Nietzsche derived the idea which he developed into his doctrine of the non-morality of the superman.
Were the discourse of M. Bergson no more than the utterance of a philosopher stirred by deep patriotic feeling to uphold his country's cause and denounce his country's foes, then, however eloquent its appeal, it would have no significance or value beyond its present power to inspire courage in the hearts of his comrades. And it would not differ from equally earnest appeals which other philosophers have addressed to the world on behalf of their fellow-countrymen. It has a much deeper meaning. It is no mere indictment of modern Germany's rulers or people. It goes to the very heart of the problem of the future of humanity. Shall the splendid material progress which has marked the scientific achievement of the last century be the forging of a sword to destroy the freedom which life has won with it from matter?
As these words are written the conflict is raging, and the decision seems still far off. Death is striking down the young in all the nations, and among them many on whom our highest hopes were founded. "But whatever be the price of victory," so writes M. Bergson to me, "it will not have been too dearly bought if humanity is finally delivered from the nightmare which weighs on it."
H. WILDON CARR